L’Évolution Humaine Accélérée : De l’Agriculture à la Conquête
À propos des auteurs
Gregory Cochran est physicien et professeur adjoint d’anthropologie à l’Université de l’Utah. Henry Harpending était professeur distingué au département d’anthropologie de la même université.
Introduction
Le point central de cet ouvrage est que les humains continuent d’évoluer, contrairement à ce que l’on pourrait croire de prime abord. Cette évolution s’est même accélérée ces 10 000 dernières années.
Les êtres humains adoptent de nouvelles techniques qui font progresser leurs coutumes, rendant obsolètes certains de leurs anciens attributs. C’est ainsi, par exemple, que les outils comme les lances, qui permettent de tuer des prédateurs plus gros, ont fait évoluer le corps humain et l’ont rendu plus fragile, car désormais ces gros muscles étaient devenus inutiles, voire même handicapants. Il valait mieux privilégier l’endurance pour courir après les proies sur de longues distances en attendant qu’elles se fatiguent.
Une Catastrophe aux Origines
Il y a environ 10 000 ans, un réchauffement climatique a permis l’apparition de l’agriculture. Cela a eu une grande influence sur les populations concernées. La plupart des nations prospères aujourd’hui ont eu parmi leurs descendants des peuples qui ont été exposés depuis des millénaires à l’agriculture. L’agriculture a contraint les peuples qui la pratiquaient à évoluer. Les premiers changements concernaient la résistance aux bactéries, car les nouvelles pratiques agricoles et la baisse de pression de sélection ont influencé l’anatomie humaine.
L’Accélération Post-Civilisation
L’idée selon laquelle l’évolution humaine se serait achevée il y a des dizaines de milliers d’années est clairement erronée. L’évolution s’est au contraire intensifiée après l’émergence de la civilisation, atteignant un rythme environ cent fois plus rapide que sa moyenne sur les 6 millions d’années de notre existence. Cette accélération fut si rapide que les humains ont changé de manière significative, tant physiquement que mentalement, au cours de l’histoire enregistrée.
Ces changements sont frappants et évidents : des traits distinctifs comme la résistance au paludisme, l’apparition des yeux bleus, ou la tolérance au lactose chez l’adulte, sont tous apparus au cours des 10 000 dernières années.
Cette intensification fut alimentée par une immense explosion démographique liée à l’agriculture, qui a multiplié la population mondiale par environ cent entre 10 000 av. J.-C. et l’an 1 apr. J.-C. Plus d’individus signifie que la production de mutations favorables s’est accrue, les innovations génétiques se produisant beaucoup plus souvent qu’auparavant.
Les Contraintes de l’Agriculture et les Réponses Biologiques
Le nouveau mode de vie agricole a imposé des problèmes inédits aux populations. La sédentarité et la densité de population élevée ont permis à des maladies infectieuses virulentes, comme la variole ou la rougeole, de prospérer là où elles ne pouvaient pas exister chez les chasseurs-cueilleurs. Les agriculteurs furent soumis à des pressions sélectives intenses, développant des défenses génétiques beaucoup plus efficaces. C’est ainsi qu’est apparue la drépanocytose et d’autres variants protégeant contre le paludisme, des adaptations souvent très récentes et localisées selon les régions.
Une autre adaptation biologique majeure fut la tolérance au lactose chez l’adulte, une mutation qui permet de digérer le lait même après le sevrage. Cette caractéristique est l’une des plus fortement sélectionnées que nous connaissions. Apparue chez les éleveurs européens et certains peuples d’Afrique de l’Est, elle a permis une utilisation bien plus efficace des ressources animales, conférant un avantage concurrentiel si puissant qu’il pourrait expliquer l’expansion rapide des peuples indo-européens.
Domestication et Évolution de l’Esprit
Les changements ne sont pas seulement métaboliques. L’humain est devenu plus gracile et moins robuste, et le volume de son crâne a diminué. Surtout, l’instauration de sociétés sédentaires, denses et hiérarchiques – où la fuite est difficile et la violence locale limitée par les États – a soumis l’humain à une forme de « domestication ».
L’évolution post-agricole a entraîné des modifications du système nerveux central, sélectionnant de nouvelles versions de gènes affectant les neurotransmetteurs. Les pressions sélectives ont favorisé les « vertus bourgeoises » : l’obéissance à l’autorité (car l’élite avait intérêt à « apprivoiser » ses sujets), la diligence, et la capacité à différer la gratification. Ces traits étaient cruciaux pour les agriculteurs qui devaient économiser les semences au lieu de les consommer immédiatement, un comportement inutile voire nuisible chez les chasseurs-cueilleurs. Ces changements génétiques, affectant la cognition et la personnalité, prouvent que l’évolution humaine galope dans toutes les directions.
L’Évolution et la Conquête : Une Question d’Immunité
Le succès fulgurant des Européens dans l’expansion mondiale fut souvent un succès biologique, une conséquence directe de leur histoire génétique post-agricole. Cependant, l’efficacité de cette supériorité biologique dépendait entièrement de l’environnement rencontré. Ces exemples illustrent comment l’évolution récente a façonné le destin des populations à l’échelle mondiale, mais l’histoire ne s’arrête pas là.
Le Nouveau Monde : Victoire par les Germes
Lorsque les Européens ont initié la « Columbian explosion » vers le Nouveau Monde, leur conquête fut propulsée par des différences biologiques fondamentales – notamment une résistance accrue aux maladies. Les Amérindiens, ayant migré d’Asie du Nord-Est il y a environ 15 000 ans, avaient laissé derrière eux les maladies de foule nées de l’agriculture, ainsi que les défenses génétiques correspondantes. Leur population n’avait pas connu de pression sélective intense en matière de maladies infectieuses. En conséquence, ils ont été décimés par une avalanche de maladies eurasiatiques et africaines (comme la variole, la rougeole ou la diphtérie).
Cette vulnérabilité des Amérindiens fut la raison principale du succès européen. Le taux de mortalité de la variole, par exemple, atteignait parfois 90 % chez les Amérindiens, contre environ 30 % chez les Européens. Les Espagnols, avec quelques centaines d’hommes, purent vaincre des empires de millions d’individus, car ils étaient assistés par leurs alliés microscopiques. L’avantage biologique des Européens sur les Amérindiens dans cette situation était énorme.
Le Contraste Africain : L’Impasse du Continent Noir
Lorsque les Européens tentèrent de conquérir et de s’installer en Afrique subsaharienne, la situation était inversée. Les Européens se sont heurtés à des risques de maladie incroyables. Pendant des siècles, l’expansion européenne fut bloquée dans les zones côtières.
Les maladies tropicales virulentes, comme le paludisme falciparum et la fièvre jaune, ont agi comme une barrière naturelle, empêchant les Européens de pénétrer à l’intérieur du continent. Les populations africaines locales, par contre, possédaient des défenses biologiques qui avaient évolué au prix fort, conservant une résistance suffisante pour survivre.
Même si la technologie militaire européenne était supérieure, l’Afrique n’est pas devenue une autre Amérique car les populations locales ne sont pas mortes en masse, empêchant ainsi leur remplacement par des colons européens. Les Africains ont survécu aux Européens malgré leur civilisation moins développée technologiquement, tandis que les Amérindiens ont été décimés par les germes. Les maladies tropicales puissantes, combinées aux défenses biologiques locales, ont maintenu l’Afrique africaine.
Un Cas d’École : La Réussite Ashkénaze
Ces exemples de différenciation évolutive ne se limitent pas aux grandes populations continentales. Les auteurs appliquent la même méthode d’analyse – la coévolution gène-culture – à des groupes plus restreints, révélant des dynamiques évolutives tout aussi fascinantes.
Steinitz, Botvinnik, Kasparov, Fischer, Tal : ces noms ne vous disent peut-être rien, mais il s’agit de champions d’échecs, tous juifs ashkénazes. Sur les quinze champions du monde d’échecs couronnés jusqu’à présent, quatre sont juifs, une surreprésentation remarquable compte tenu de la taille minuscule de cette population. Cette réussite ne se limite pas aux échecs : les Juifs ashkénazes excellent de manière disproportionnée dans de nombreux domaines intellectuels, des mathématiques à la physique théorique, en passant par la finance.
Comment expliquer ce phénomène ? Les auteurs proposent une hypothèse audacieuse basée sur deux facteurs clés : l’isolation reproductive et la pression de sélection par des métiers intellectuellement ardus. Pendant près d’un millénaire en Europe, les Juifs ashkénazes ont vécu dans un isolement reproductif relatif, se mariant essentiellement entre eux. Simultanément, ils furent cantonnés à des professions exigeantes sur le plan cognitif – notamment la finance, le commerce et les métiers nécessitant l’alphabétisation – alors que les métiers manuels leur étaient souvent interdits.
Cette combinaison unique a créé une pression sélective intense favorisant les capacités intellectuelles. Les individus les plus performants dans ces métiers difficiles réussissaient mieux économiquement, ce qui se traduisait par une descendance plus nombreuse. Génération après génération, cette sélection aurait pu favoriser les variants génétiques associés à des capacités cognitives accrues. Certaines maladies génétiques fréquentes chez les Ashkénazes, comme la maladie de Tay-Sachs, pourraient même être le prix évolutif de cette sélection, des mutations qui à l’état hétérozygote conféreraient des avantages cognitifs.
Ce cas illustre parfaitement la thèse centrale de l’ouvrage : l’évolution humaine n’est pas un processus figé dans un passé lointain, mais une force vivante qui continue de sculpter les populations humaines, parfois en l’espace de quelques dizaines de générations seulement. L’évolution humaine récente, et les différences biologiques qu’elle a engendrées, ont joué un rôle clé en déterminant les vainqueurs et les vaincus dans les grandes expansions historiques, mais aussi dans la réussite de groupes plus restreints dans des domaines spécifiques.
Pour approfondir ces questions passionnantes et controversées, et découvrir comment la coévolution gène-culture a façonné l’humanité moderne de manières que nous commençons à peine à comprendre, la lecture complète de cet ouvrage s’impose. Les auteurs y développent ces thèses avec une rigueur scientifique et une richesse de détails qui donnent à réfléchir sur notre passé, notre présent et peut-être même notre avenir évolutif.